XXII

Dans ma chambre, me voici, un de l’humaine nation, scandalisé par l’universelle mort, stérilement interrogeant. Me voici, sans cesse demandant ma mère, la demandant à Rien. Me voici, l’homme nu, abandonné, stupéfait, un homme pâle qui veut comprendre, me voici, transpirant et respirant avec peine car je n’y comprends rien à mon humaine aventure, ayant mal dans cette respiration difficile mais qui veut tristement continuer et qui, entre l’inspiration et l’expiration, contient toujours ma mère venant lourdement vers moi. Chaque respiration de moi est une mort qui veut vivre, un désespoir qui fait semblant d’espérer. Me voici, devant la glace, follement dans mon malheur aspirant à quelque bonheur, tristement me grattant de douleur quoique pétrifié, machinalement traînant mes ongles sur ma poitrine nue, souriant et faible devant ma glace où je cherche mon enfance et ma mère, ma glace qui me tient froidement compagnie, et dans laquelle je sais, souriant, que je suis perdu, perdu sans ma mère. Je suis là, devant la glace, fenêtre sur la mort, faisant des nœuds à cette ficelle saisie au hasard et qui me tient compagnie, la tirant, la renouant, la compliquant machinalement, la rompant nerveusement, tout en sueur et bégayant des mots gais pour essayer de vivre. O fil rompu de mon destin. Devant cette glace que j’interroge, je ne peux pas comprendre que ma mère ne soit plus, puisqu’elle a été.

Elle est venue, elle n’y a rien compris, elle est partie. Après avoir été elle-même irremplaçablement, elle a disparu, pourquoi, mais pourquoi? Pauvres humains que nous sommes, qui allons du toujours qui nous a déposés dans notre berceau au toujours qui viendra après notre tombe. Et entre ces deux toujours, quelle est cette farce que nous jouons, cette courte farce d’ambitions, d’espoirs, d’amours, de joies destinées à disparaitre pour toujours, cette farce que Tu nous fais jouer? Dis, Toi, là-haut, pourquoi ce traquenard? Pourquoi a-t-elle ri, pourquoi lui as-Tu donné le désir de rire et de vivre si Tu l’avais, dès son berceau, condamnée à mort, ô Juge à la monotone sentence, Juge sans imagination et qui ne connais qu’une seule sentence, toujours capitale, pourquoi et quelle est cette tromperie? Elle aimait respirer l’air de la mer en ces dimanches de mon enfance. Pourquoi est-elle maintenant sous une planche suffocante, cette planche si proche de son beau visage? Elle aimait respirer, elle aimait la vie. Je crie à l’abus de confiance, à la sinistre plaisanterie. O Dieu, du droit de mon agonie qui est proche, je Te dis qu’elle n’est pas drôle, Ta plaisanterie de nous donner cet effrayant et bel amour de la vie pour nous allonger ensuite, les uns après les autres, les uns auprès des autres, et faire de nous des immobiles que de futurs immobiles enfouissent sous terre comme de puantes saletés, des balayures trop répugnantes à regarder, de cireuses immondices, nous qui fûmes des bébés ravis en nos fossettes. Pourquoi toute cette terre sur ma mère, ce petit espace de la caisse autour d’elle qui aimait tant respirer l’air de la mer?